The Dinner Party – Ishtar


Aile 1 : l’Antiquité

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 « Dame de Warka », masque sculpté trouvé dans un temple dédié à Innana/Ishtar à Uruk, et plus vieux visage féminin sculpté au monde.

 

Ishtar – D’abord nommée Inanna par les Sumériens à l’aube de notre histoire (il y a 6 000 ans), les Babyloniens et les Assyriens renommèrent "Ishtar" ce mythe très important qui déifiait à la fois l’amour, la guerre, le sexe et la beauté.

C’est un des plus vieux archétypes de la femme un peu fatale sur les bords, qui régit la Vie et la Mort.



Plaque représentant Ishtar, datée de 1800 ans avant notre ère.

Après avoir inventé les dieux qui avaient inventé le monde, comme Chaos chez les Grecs, l’humanité encore peu disposée au dieu créateur unique en trouva d’autres, qui détrônèrent explicitement les premiers. Ainsi, Chaos, tout marasme créateur qu’il fût, n’était point chef des dieux. Ça a bataillé ferme pour mettre Zeus sur le trône (souvenez-vous d’Eurynomé et Ophion, puis Rhéa et Cronos), idem pour Odin et d’autres ailleurs. La vie des religions et des mythes est résolument celle des hommes ! Dans le cas d’Ishtar, fille du dieu Lunaire Sîn, elle était secondaire dans la création mythologique, mais elle a gagné ses galons, de mains en mains. Son nom signifie « Etoile » et l’étoile de Vénus (l’étoile du Berger), à 8 branches, est son emblème.



Sur cette poterie appelée « Vase d’Ishtar »datée du IIe millénaire avant J.C., on voit la déesse dans son plus simple appareil en position d’orant (qui prie) ; le triangle de son pubis est très marqué, comme son nombril. La déesse est entourée de tortues, de poissons dans l’eau, d’un taureau sur la terre et dans le ciel, d’oiseaux.


Elle est bien entendu une déesse de la fertilité, « déesse des champs et des dépôts de dattes et des produits de l'agriculture et du pâturage » (ce qui est l’image véhiculée par son idéogramme), épouse du dieu-berger Tammuz (lui-même dieu de la fertilité), mais elle n’est pas vraiment emblématique de la bonne mère, ni même de la bonne épouse, car elle brille par la liberté de sa sexualité. Elle ne semble pas avoir eu de descendance, ce qui est gravement incompatible avec le statut de déesse-mère. Ishtar, c’est la fille (presque) libre. Elle était déesse tutélaire et reine d’Uruk, dotée d'un caractère bien trempé ; connue pour ses infidélités, elle se montrait également assez ambitieuse, quoiqu’à chacune de ses apparitions dans les textes elle doit en passer par son père pour assouvir ses caprices.

Souveraine du « Monde d’en Haut », elle décida un jour d’aller détrôner sa sœur Ereshkigal, qui régnait sur le « Monde d’en Bas », les Enfers. Porte après porte, elle fut mise à nu (au sens propre comme au figuré) par le gardien, avant d’arriver à poil face à sa soeur (jumelle en tous points par ailleurs). Voici la suite du mythe babylonien :

Sitôt Ishtar ainsi descendue
Éreshkigal, qui Au tréfonds du Pays-sans retour,

À sa vue, Éreshkigal entra en fureur,

Et, inconsidérément, Ishtar se jeta sur elle!

Mais Érshkigal ouvrit la bouche, prit la parole
Et adressa ces mots à Namtar, son lieutenant ;
« Va, Namtar !
Lâche sur elle les Soixante maladies :
Les maladies des yeux sur ses yeux!
Les maladies des bras sur ses bras!
Les maladies des pieds sur ses pieds!
Les maladies des entrailles sur ses entrailles!
Les maladies de la tête sur sa tête !
Lâche-les sur son corps tout entier! »
Or, une fois Ishtar [ainsi retenue en Enfer],
Voici que nul taureau ne montait plus de vache,
Nul baudet ne fécondait plus d'ânesse,
Nul homme n'engrossait plus de femme, à son gré :
Chacun dormait seul en sa chambre
Et chacune s'en allait coucher à part !
C'est pourquoi Papsukkal, lieutenant des grands-dieux,
Préoccupé et inquiet,
Habillé et coiffé de deuil,
S'en vint, désemparé,
Pleurer (en vain) devant Sîn, le père d'Ishtar !
Puis il laissa découler ses larmes
Devant Éa-le-souverain :
« Ishtar (leur disait-il), descendue en Enfer,
N'en est pas remontée !
Et depuis qu'elle est ainsi partie
Au Pays-sans-retour,
Voici que nul taureau ne monte plus de vache,
Nul baudet ne féconde plus d'ânesse,
Nul homme n'engrosse plus de femme, à son gré :
Chacun dort seul en sa chambre,
Et chacune s'en va coucher à part! »

Texte extrait de Lorsque les dieux faisaient l'homme par Jean Bottéro, Samuel, Noah KramerEditions Gallimard, 1989

L’absence d’Ishtar provoqua la mort de la vie sur terre, ce fut l’hiver. C’est pourquoi le dieu Ea lui accorda de revenir, ce fut le printemps. Mais pour retourner sur terre, Ishtar devait fournir un remplaçant pour prendre sa place aux Enfers. Dans ses recherches, Ishtar trouva, assis sur son trône puisqu’elle était absente, son mari. De colère, elle le désigna comme sacrifice de rechange. Il fut alors emmené aux Enfers, et tué.

On voit néanmoins Tammuz prendre à son compte la garantie de fertilité qu’incarnait Ishtar : regrettant son geste, la déesse obtint des dieux le retour de Tammuz la moitié de l’année, pour permettre le renouveau du printemps, la sœur du dieu (qui avait défendu son retour auprès d’Ishtar) le remplaçant aux Enfers lorsqu’il était à la surface.

L’union du dieu et de la déesse, qui se répétait tous les ans, était fêtée dans l’allégresse parmi le peuple babylonien. Cette fête relevait du Hiéros Gamos, qui voyait le « mariage » (comprendre « coït », cela faisait partie de la "prostitution sacrée" dont nous aurons l'occasion de reparler, jetez un oeil au lien en attendant) du roi avec une prêtresse de la déesse pour assurer la fertilité de l’année à venir...

Dans une autre légende, elle incarne plutôt une séductrice capricieuse, qui se fit éconduire par Gilgamesh lui-même, dans l’épopée éponyme. Gilgamesh est le premier modèle du héros héroïque dont la seule vue effraie ses ennemis. Grand, beau et fort, Ishtar craque quand elle le croise, à Uruk. Mais il se moqua d’elle, du destin funeste de ses amants, de ses infidélités, en ces termes : 

« Non, je ne veux pas de toi pour épouse ! Tu n’es qu’un fourneau qui s’éteint dans le froid, une porte qui laisse passer les courants d’air, un palais qui s’écroule sur ses défenseurs, un éléphant qui jette bas ses harnais, un bitume poisseux, une outre percée, un mortier friable, un bélier qui démolit les remparts amis, une chaussure qui blesse le pied. » 

Suffoquant de rage (j’imagine), elle demanda à son père de la venger, qui accepte en lâchant sur la ville un Taureau Céleste… encore qu’elle fut tenue d’assurer la fertilité de la terre et le stockage de graines pour contrer les années de famine qui allaient fatalement s’annoncer après les ravages du bovidé. Celui-ci commença par laper le fleuve, puis s’ébroua sur la ville, heureusement, Gilgamesh est arrivéééééeééé et tua le Taureau.

Ishtar bouda furieusement et le maudit entre ses dents.

Inanna, la Dame au Lion, maîtresse des inversions (empreinte sur tablette d'argile)

C’était aussi une guerrière chez les Assyriens, une autre de ses épithètes était « la Dame de la Guerre et du Combat ». Qu’elle était belliqueuse de caractère, vous l’auriez compris, mais elle prenait parfois carrément une apparence « virile » pour mener les hommes au combat. Elle aimait et maniait les armes. Elle était alors nommée « la Lionne » et apparassait tenant en laisse le roi de la jungle. Ce caractère androgyne, peut-être étonnant pour une figure féminine aussi forte, se retrouvera dans le mythe de Vénus, féminine le soir, et masculine le matin, capable de changer en homme ce qui est femme, en femme ce qui est homme.

C’est son ambition émancipatrice qui la rend paradoxalement si masculine. C’est en usant de ses charmes auprès du grand dieu Enki, après l’avoir enivrer de bon vin, qu’elle se vit offrir une foule (cent) de dons et de techniques (comme les arts du chant, du manteau, du chignon sur la nuque, du cuir, du feu, de l’écriture..), qu’elle ramena illico à Uruk pour permettre à la ville… d’atteindre la civilisation ! Le dieu, une fois dégrisé, tenta de se dédire, mais face à la divine colère, il dut se résigner à voir ces arts être utilisés par les humains.

Les contrastes qui habitent cette figure sont puissants : la vie, la mort, le sexe, la guerre. Le mythe de cette Déesse va s’éparpiller au travers d’une myriade d’autres que vont produire les mythes à venir, et qui vont « distribuer » les dons, les défauts, les qualités à plusieurs déesses.
L’hymne suivant lui est consacré : elle y est nommée Nananya, et elle décline ses attributs : sage, puissante, prostituée sacrée, voluptueuse et à demi homme.


« Sage fille de Sin, bien-aimée sœur de Shamash, je suis la Puissante à Borsippa ;
Je suis l'Hiérodule à Uruk, j'ai une lourde poitrine à Daduni,
J'ai une barbe à Babylone, mais je suis (en fait) Nanaya. »



Ishtar et son côté sombre, sur une plaque dite « Reine de la Nuit » datant de -1750.




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