Inception - Christopher Nolan (2010) / Déroulement


LE DEROULEMENT

La mission de Cobb nous est brièvement expliquée, dans un parfait anglais de natif chinois : il doit faire germer dans la tête de Fisher, le concurrent de Saito, la volonté de démanteler l’entreprise familiale. Cela lui permettra de retrouver ses enfants. Ces 20 minutes de fumage neuronal s’achèvent, pour passer à une eau qui vous sera plus familière. Le déroulement se tient en 3 parties :

1) La constitution de l’équipe. 
2) La mise en place du plan. 
3) La mise en œuvre du plan, elle-même découpée en trois étapes, trois rêves.

1) La constitution de l’équipe pour assurer le casse
Un classique du genre : il me semble avoir vu les mêmes scènes dans Ocean’s Eleven, et d’autres :

COBB’S FOUR 
- On nous présente les personnages les uns après les autres dans leur contexte « naturel » : Eames dans un casino, Ariane dans son école d’architecture, Yusuf dans son échoppe. 
- Chaque personnage a sa petite séquence, en forme de portrait pour qu’on comprenne bien à qui l’on a affaire. 
- Chacun a un rôle bien défini : l’architecte, le chimiste, le faussaire, l’extracteur, le recherchiste. 
- Les hommes ont des relations « je t’aime / je te chambre » (il en va ainsi entre Arthur et Eames, avec Yusuf), et la femme une relation « je t’aime / je t’embrasse » avec un homme (Cobb et Mal, Arthur et Ariane).


Ces personnages, qui sont autant d’aides dans la mission de Cobb, relèvent également d’archétypes que l’on cerne rapidement. Une dose de clichés raciaux et/ou sexistes qui permettent à un milliard de personnes de comprendre dans l’instant de quoi on lui parle et un poil de psychologie de comptoir, c’est la recette de Nolan.



ARTHUR LE FAIRE-VALOIR 
Arthur est un jeune homme blanc, propre et net, bien coiffé, toujours poli, pas vraiment viril. Ce manque sera mis en contraste avec la virilité évidente de Eames, qui le chicane en permanence. La comparaison est nette lorsque Arthur tente de se débarrasser vainement d’un ennemi posté sur le toit, avec un fusil qui passe pour ridicule à côté du bazooka que sort Eames, qui touche du premier coup : « N’ayons pas peur de rêver un peu plus gros, chéri ». Arthur se définit donc essentiellement ainsi : c’est pas lui qu’a la plus grosse, mais lui au moins, il est subtil. 
C’est d’ailleurs tout en subtilité qu’il vole un baiser à Ariane, la seule fille de l’équipe, en lui faisant croire que cela permettra de calmer les projections. Pas joli-joli… 
C’est apparemment le "recherchiste" de l’équipe, quoique son rôle n’est pas clairement explicité : il est au côté de Cobb dès le début. C’est en revanche lui qui est accusé de ne pas avoir fait apparaître le fait que Fisher était préparé contre toute extraction, oubli qui manque de tout faire rater lorsque l’équipe se retrouve sous le feu des projections (jeu de mots débile), ce qui n’est quand même pas une demi-connerie, mais on passera vite dessus.


« N’ayons pas peur de rêver un peu plus gros, chéri. »

Les clichés sexistes trouvent encore mieux leur place dans le personnage de Eames, type limite con et complètement machisant.



EAMES, LE FAUSSAIRE A FORTE POITRINE 
Eames est un pickpocket, un voleur et un faussaire : il usurpe les identités, et peut ainsi prendre les traits d’une autre personne dans le rêve du sujet. Cheveux gominés, air roublard, c’est le bad-boy de la troupe. Comme il est un peu limité intellectuellement, il faut tout expliquer et ça tombe bien, des fois on ne comprend pas tout non plus. On le voit prendre deux fausses identités dans les rêves de Fisher : 
- Browning est le parrain de Fisher, c’est le véritable méchant de l’histoire car il voudrait bien tirer à lui l’empire tout entier de Fisher Morrow, l’entreprise familiale. Cobb et son équipe estiment ainsi comme particulièrement juste et moral de révéler au fils la véritable nature de son parrain. 
- une « jolie jeune femme qu’il a déjà employée », alors là, un vrai poème, saturé de sexualisation. Présentée comme une pute (le terme « employée »), il s’agit d’un piège censé détourner les soupçons de Fisher dans le deuxième rêve : blonde, le regard incandescent, poitrine au vent, elle file son numéro à Fisher avec un gros clin d’œil suivi d’un « Si l’ennui vous prend ». Elle est tout à fait vénéneuse face à Cobb (« - Madame ? Vous êtes ? - Sur le départ. ») Et comme il s’agit de Eames, elle a surtout tiré le portefeuille de Fisher.


Après avoir commis son larcin, la blonde pulpeuse coince Saito dans l’ascenseur, toute aguicheuse. Saito se débat jusqu’à se rendre compte que c’est Eames, par un jeu de miroirs. Il repousse alors plus sereinement son petit camarade.

Ces personnages sont centraux dans l’action, avec Ariane. Yusuf occupe un rôle plus collatéral mais il aura quand même le temps de faire plusieurs conneries.


YUSUF L’ARABE MOU ET VENAL 
Passons sur la scène de poursuite dans les rues de Mombasa (où l’on assiste à la sempiternelle scène où des petits blancs cassent et tirent à tout va dans les rues populeuses et étroites d’une ville misérable du tiers-monde…), pour nous concentrer sur le second non-blanc du film, après Saito. Yusuf est un personnage gras et flegmatique, qui ne « va pas sur le terrain », et qui bidouille des produits illicites permettant d’obtenir des rêves partagés plus stables, à savoir des sédatifs. Il tient une cave où il trafique du rêve. Etant donné le parallèle évident entre le rêve et la drogue (voir plus bas), il en découle que Yusuf est un genre de dealer. Il appuie lui-même cette image lorsque Cobb se réveille et qu’il lui demande « Alors ? Puissant hein ? » comme le ferait un revendeur à un autre qui vient de tester la marchandise. 
Pour ajouter au portrait, ajoutons que Yusuf est le seul à agir pour l’argent, tous les autres sont plutôt là pour le sport (ou pour retrouver ses enfants en ce qui concerne Cobb) : il affirme que Cobb lui a proposé « sa part entière » pour accepter de travailler pour lui malgré les risques. On le voit aussi renifler avec plaisir le portefeuille (qui vaut lui-même plus que 500 dollars) contenant les 500 dollars de Fisher.
Il sera la risée de ses camarades quand une pluie diluvienne s’abattra sur eux à l’orée du premier rêve, parce qu’il n’a pas pensé à pisser avant de s’endormir (il aurait abusé du champagne gratuit). 
Son rôle sera minime et il ne le fera pas correctement : il doit conduire la camionnette où se trouvent les dormeurs jusqu’à un pont, et la précipiter dans le vide. Or, il aura beaucoup de mal à se défaire d’un homme armé à ses trousses et fera retentir la décharge qui doit ramener tout le monde trop tôt. Ce qui fait juste un peu tout foirer. C’est le moins fiable de tous.

Ariane est l’antithèse de Mal. Cette dernière incarne la confusion autant qu’Ariane incarne la vérité.


LE FIL D’ARIANE 
Le rôle d’Ariane est le plus important dans la progression de l’histoire. C’est la seule, en effet, qui soit en mesure de comprendre Cobb. Car aucun des copains de Cobb, ni même son fidèle Arthur, ne sait rien des remords qui rongent notre héros. Ça ne se fait pas entre mecs, j’imagine, parler comme ça à cœur ouvert. Ariane est la seule à vouloir savoir, et la seule à faire ce qui faut pour : elle s’immisce dans un rêve de Cobb pour connaître le fin mot de l’histoire. Mais Cobb se montrera réticent, et Nolan nous distillera les informations au compte-gouttes.
Le personnage doit évidemment son nom à cette figure de la mythologie grecque, Ariane, qui aide Thésée dans le labyrinthe conçu par Dédale pour y enfermer le Minotaure. Allusion des plus subtiles et auto-suffisante : Ariane sera l’architecte, et celle qui guidera Cobb dans les labyrinthes qu’elle construira. 
C’est Ellen Page qui incarne le personnage : l’actrice révélée par Juno, en 2005, est qualifiée de « combinaison parfaite de fraîcheur, de jugeote et de maturité » par Christopher Nolan. L’alibi sexy étant déjà porté par Cotillard, reste à Ariane celui de la jeune première, pâle et intelligente. Son talent d’architecte est éprouvé par Cobb lors de leur rencontre : il lui demande de réaliser en deux minutes un labyrinthe qu’on ne peut pas résoudre en moins d’une minute. Elle lui présente d’abord des labyrinthes carrés, qui suivent les carreaux de sa feuille, avant d’avoir l’idée de retourner le calepin pour en utiliser le côté blanc, et y tracer un labyrinthe rond – ce qui comble Cobb.
Vient ensuite un « atelier pratique », comme le dit Cobb, où il la projette dans un rêve. Elle commence par perdre son sang-froid et fait exploser le décor, avant de prendre un peu mieux le truc en main : c’est l’occasion pour Nolan de déployer devant nos yeux ébahis toutes les potentialités architecturales que portent les rêves… d’autant qu’il ne pourra plus se le permettre ensuite, puisque les rêves doivent « faire réel ». 
Comme elle est douée, elle aime ça, et c’est parce qu’elle aime ça, cette « pure création », qu’elle accepte de travailler pour Cobb. En même temps, c’est ça ou des « stages », des « contrats d’insertion » qui ne fleurent pas vraiment l’aventure. 
Mais attention, hein, aventure ne veut surtout pas dire « aventure » et rien ne vient troubler la surface pure de la belle et innocente jeune fille, qui n’est que vérité et attentisme (disons-le : « jeunesse », virginité). Même le baiser que lui vole Arthur ne lui donne pas une ride : quand elle comprend qu’elle a été manipulée, Ariane se contentera de rosir très légèrement. Et on ne saura pas ce qu’il adviendra de cette « idylle » traitée sur le ton de la légèreté totale. 
Ariane, enfin, n’est que douceur et souci d’autrui. Rappelons que c’est la seule à s’intéresser aux turpitudes de Cobb. Certains mauvais esprits ont même fait remarquer que ce personnage ne servait qu’à ça, poser des questions (ceux qui ont compté en ont trouvé à peu près quatre-vingts) à Cobb pour que Nolan puisse y répondre. Lorsque Saito prend une balle dans la poitrine, on voit tous les mâles se disperser tandis qu’elle sort la trousse de premiers soins.
Ariane est donc la pureté toute nue, mais plus habillée que Mal.

Lorsqu’il engage Eames, Ariane, puis Yusuf, Cobb est amené à expliciter un peu plus la mécanique du rêve, ce que nous attendions de toutes les fibres de nos âmes !

LA MÉCANIQUE DU RÊVE 2 
- Quand on dort, le potentiel cérébral est presque infini : tout est possible. C’est génial. 
- Dans un rêve, l’esprit construit en même temps qu’il découvre les lieux. Le monde peut donc se faire « en temps réel ». 
- Le « sujet » ne sait pas qu’il rêve : on le met au milieu d’un décor pré-construit, il y ajoute son subconscient, et vogue la galère. 
- Irréalisme et manque de détails ne sont pas un problème car on ne sait pas qu’on rêve avant de se réveiller. 
- On atterrit toujours au milieu de l’action. Par conséquent, se demander si l’on est en mesure de se rappeler comment on est arrivé là est une bonne manière de savoir si l’on rêve ou pas. 
- 5 minutes dans un rêve = 1 heure dans la réalité. C’est un prérequis qu’il faut bien intégrer pour comprendre la suite. Avec la chimie que propose Yusuf, cette donnée sera modifiée. 
- La douleur est perceptible dans un rêve et aussi traumatisante qu’en vrai. 
- Les projections sont les gens qui habitent le rêve. C’est le sujet qui les met là - tout droit sortis de son subconscient. 
- Les projections deviennent agressives car le subconscient du sujet détecte le rêveur comme des globules blancs détectent une maladie. Elles deviennent donc de plus en plus agressives à l’égard du rêveur. C’est l’alibi « baston » du film. 
- Le sujet ne peut pas contrôler ses projections. 
- Le rêveur peut parler au subconscient du sujet pour lui voler ses secrets. 
- Il y a un autre moyen de voler des informations : créer des lieux sécurisés dans lequel le sujet va spontanément ranger ses secrets et qu’il suffit ensuite de cambrioler. 
- Il ne faut pas créer des lieux de mémoire, ne jamais faire appel aux souvenirs pour autre chose que des détails, car c’est le meilleur moyen de perdre pied avec la réalité. 
- On ne peut pas choisir de sortir d’un rêve : il faut nécessairement une décharge (ou être tué ou arriver au bout du chrono… voir Mécanique du rêve 1). 
- On peut se faire un « totem » pour être toujours en mesure de savoir si l’on rêve ou pas : un objet dont on est le seul à connaître les propriétés, et qu’il ne faut pas laisser toucher par d’autres pour qu’il reste hors de portée de la manipulation d’un rêveur. C’est un élément important du film, on voit celui d’Arthur et Ariane construire le sien, toutefois ils n’auront jamais à les utiliser. Le seul totem actif dans le film, c’est la toupie, qui appartenait à Mal. 
- Pour semer une idée (et non pas en extraire une), c’est-à-dire pour pratiquer une inception, il faut trouver la version la plus simple de l’idée à faire germer pour que le sujet ait l’impression qu’elle vient de lui. 
- Plus il y a des niveaux de rêves, plus les rêves sont instables. Les occasions de merdouiller montent au carré, si vous préférez.

Le dernier personnage recruté est Yusuf, dont j’ai fait le portrait plus haut. Cette scène joue sur une symbolique qui donne du sens au film, du moins fixe une ambiance « psychologique » particulière : celle du drogué, et du rêve qui agit comme une came. Impossible d’échapper à la métaphore, elle est puissante et souvent répétée :

LE RÊVE, CETTE DROGUE 
- La référence à la « chimie » est très forte, et l’on parle de « produits », deux termes souvent associés aux drogues de synthèses (drogues « dures » selon l’euphémisme autorisé). 
- la « chimie » en œuvre est dispensée par la tuyauterie de la petite mallette, que l’on branche autour de ses poignets, peut-être même dans les veines... 
- La salle où Yusuf fait partager un rêve à une douzaine de dormeurs à tout du fumoir d’opium, remplis de zombies endormis. 
- C’est illégal. 
- A la fin du rêve de Cobb, Yusuf lui demande « Puissant, hein ? ». 
- On devient dépendant, car le rêve artificiel devient la seule manière de rêver… ou de se réveiller. 
- Le rêveur perd pied avec la réalité, la confusion le gagne, les séquelles psychologiques s’installent. On voit le héros se plonger la tête sous l’eau froide pour reprendre ses esprits. 
- Cobb est un camé, c’est un peu ce que veut dire son père quand il se supplie de revenir dans la réalité, et que Cobb jure que ce travail sera le dernier.

20 nouvelles minutes viennent de s’écouler (ne perdons pas non plus de vue la mécanique du cinéma), on tombe sur un possible pivot : je dis possible parce qu’on n’en saura rien, le doute faisant partie des personnages… A cette quarantième minute du film, Cobb vient de « goûter » un rêve de Yusuf, et on assiste au test que Cobb fait souvent avec la toupie de Mal (ce qui jette déjà un doute sur l’honnêteté de cette toupie), test qu’il ne mène pas à son terme : Saito survient brusquement et la toupie tombe par terre. On doit en conclure que potentiellement, à ce moment-là, tout le reste n’est que rêve, car nous n’avons pas eu la preuve de la réalité. Ce mystère sera parfaitement oublié jusqu’au dernier plan du film.

Lorsque l’équipe est au complet, le récit s’installe dans son genre « film de casse », avec la préparation du plan.

2) La préparation du plan
Elle est sobre, relativement longue (15 minutes) et montrée de manière très partielle – nous sommes là pour découvrir le travail de l’Architecte Nolan, si possible le plus près de la fin, donc pas tout de suite.

Pour commencer, nous en apprenons un peu plus sur la mécanique du rêve, car Yusuf va apporter sa petite touche « chimie » et parce que l’inception nécessite une mise en œuvre sensiblement différente d’une extraction. Voici ces nouvelles lois :

LA MÉCANIQUE DU RÊVE 3 
- Une inception peut modifier profondément un individu. L’exemple de Mal nous montre que ce n’est pas forcément souhaitable. 
- Chaque niveau est une partie de subconscient du sujet. Alors là on ne voit pas trop ce que ça peut vouloir dire, mais ça soutient le découpage en trois « idées de base » que l’équipe souhaite faire germer dans l’esprit de Fisher. 
- Le subconscient agit sous le coup des émotions et non de la raison. Il faut donc jouer sur les émotions, la psychologie du sujet. 
- Pour stabiliser les rêves, on peut administrer un sédatif qui maintiendra le rêveur endormi : il peut être secoué, giflé, turbulé, il restera endormi et ne sortira pas du rêve (ce qui en fait complique terriblement les choses, car la sortie devient très délicate). 
- « Le composé établit une communication entre les rêveurs et accélère les fonctions cérébrales ». 
- L’effet d’allongement du temps est amplifié (x20) par le nombre de rêves emboîtes. Donc : 10 heures dans la réalité = 1 semaine dans le rêve -1 = 6 mois dans le rêve -2 = 10 ans dans le rêve -3. Je vous laisse vérifier. 
- Le sédatif de Yusuf permet de percevoir une chute car il « préserve l’oreille interne ». 
- La musique (Piaf, « Je ne regrette rien », pour que Cotillard se sente chez elle ?) peut tenir lieu de compte à rebours.
       
Le « sujet », Robert Fisher, fils de Maurice Fisher, fait l’objet de minutieuses recherches et nous verrons s’étoffer son inévitable dossier rassemblant coupures de presse et photos volées. En même temps, l’atelier désaffecté dans lequel s’est installé la troupe reprend du service et se couvre de plans, se remplit de maquettes, de paper-board pour brainstorming et de chaises pour s’asseoir. Bref, ça bosse.

A défaut de visiter les futurs lieux de rêve, nous assistons à l’infiltration de la famille Fisher. C’est Eames, le faussaire d’identités, qui s’en charge (« Les références c’est comme qui dirait ma spécialité, monsieur Saito »). Il va ainsi observer Browning-le-fourbe, le parrain de Fisher Junior. Ce personnage est très légèrement esquissé, et plus que légèrement je dirais plutôt grossièrement. Browning est défini en quatre phrases et autant de plans, donc pas beaucoup.

Ces phrases sont (sans autre contexte aucun) :
    
BROWNING : Ça ne fleure pas bon le compromis, ça. Torpillez-les. 
LE SECRETAIRE : monsieur Browning, Maurice Fisher a toujours fait en sorte d’éviter les contentieux… 
BROWNING : Voyons… devrions-nous soumettre vos préoccupations à Maurice ? 
LE SECRETAIRE : ça ne devrait pas être nécessaire… 
BROWNING : Non, non, j’insiste, il le faut.(Il ouvre une porte et nous entrons dans le mouroir de Maurice Fisher. L’héritier est devant la fenêtre, visiblement aux prises avec les pires affres psychologiques.) 
BROWNING : Robert… il faut qu’on évoque la mise sous curatelle. 
EAMES (voix off) : les rapaces tournoient, plus la santé de Maurice Fisher se détériore, plus Peter Browning devient puissant.

Là par contre, il n’y a pas de doute, le vrai salopard, c’est lui, ce Browning. Les salopards sont donc, pour résumer : Coboll Engineering qui traque Cobb, et Browning qui manœuvre pour ramener à son compte « l’hégémonie énergétique » de la multinationale Fisher Morrow.

Salopards peu épais, donc, et d’ailleurs, ils ne feront guère parler d’eux par la suite, puisque les apparitions suivantes de Browning seront celles d’Eames transformé en lui, ou une projection dans l’esprit de Fisher, à aucun moment le personnage ne menace le déroulement du plan. Idem pour les tueurs de Coboll que nous ne verrons plus après leur intervention à Mombasa.

Mais alors, pas de méchants ? Non pas de méchants, si ce ne sont les projections, que nous regarderons de plus près plus loin (ahah), mais surtout, il y a Mal, qui vaut tous les méchants du monde : les démons de Cobb sont les principaux facteurs de risque et de faillibilité de leur plan.
Franchement, vu la place que prend la mécanique du rêve, il n’en reste plus beaucoup pour l’épaisseur psychologique des personnages. La psycho qu’on nous sert est aussi bourrine que le reste.

LA PSYCHOLOGIE DU PATRIARCAT CAPITALISTE 
Il faut donc traduire « Je veux disloquer l’empire économique de mon père » en concept affectif. Bien sûr que Nolan le fait ! Même pas peur : relation père/fils. Ainsi, ils décident de faire comprendre à Fisher, en superficie, qu’il ne veut pas suivre le chemin de son père. Puis, un peu plus profond, qu’il veut créer sa propre affaire. Et enfin, tout au fond, ils vont le persuader que son père ne voulait pas qu’il soit lui. De la très sérieuse « relation père/fils », quoi, selon les propos de Eames. Bref, une transfiguration de la psychologie humaine appliquée à l’homo economicus. 
En tant que père, Fisher Senior est systématiquement qualifié de mauvais, et le peu d’amour qu’il témoignera à son fils, ce sera dans ses rêves, alors qu’il est manipulé par la bande à Cobb. On sait pertinemment que Fisher Senior n’aimait pas son fils, et ce jusqu’à la mort. Il casse un cadre contenant une photo le montrant avec son fils, un moulinet en papier dans les mains. 
Bref, chez les capitalistes, c’est pas joyeux-joyeux. Alors que chez les Cobb, qui sont un peu des artistes, ça se passe mieux ! 
Relation père/fils, cela veut dire… relation fils/père, et le petit James, dont le visage nous échappe tout au long du film, est bien au centre des tourments de Cobb. Bien sûr, il a une sœur, Philipa, mais elle est étonnamment montrée et citée toujours après son frère, et ce n’est pas elle qui « construit des maisons sur la falaise » quand elle joue dehors. 
Pareillement, si la mère de Cobb ne semble plus vouloir lui parler (elle lui raccroche au nez et c’est tout ce qu’on saura d’elle), son père, professeur d’architecture, se montre plus disposé à l’aider, puisque c’est pour revoir ses petits-enfants. 
Vous avez donc la lignée idéale du patriarcat capitaliste, qui se déplace de haut en bas, de grand-père à petit-fils et ce qui permet de garder ces liens soudés : la solidarité entre hommes.
Au fur et à mesure de la préparation du plan, la gestion psychologique de Fisher est censée se raffiner, se préciser. 
Ce qui va vraiment faire fonctionner leur plan, c’est la « catharsis » : « tout le monde aspire à la réconciliation », d’autant que « les émotions positives l’emportent sur les négatives ». Aimer son père, Junior n’attend que ça. 
Cette deuxième partie du déroulement, la préparation du plan, se clôt comme la précédente, avec un rêve de Cobb qui nous en apprend juste un demi-poil de plus sur son histoire avec Mal, à savoir que Cobb la maintient dans ses rêves comme dans une prison pour pouvoir continuer à la voir. Mal est son point faible : elle apparaît toujours dans ses rêves, pour déjouer ses plans s’il ne vient pas pour elle, et le supplier de rester avec elle. Aussi est-elle hostile à tout ce qui n’est pas Cobb, et c’est aussi la raison pour laquelle il ne veut pas construire lui-même l’architecture de leurs rêves, ni même en connaître les plans (il tourne toujours le dos et regarde ailleurs quand Ariane présente son travail), pour que Mal ne puisse pas les déjouer. A la limite, c’est le truc qu’on pige le plus vite… 
La maîtrise de la psychologie humaine est au cœur du film, et vu toutes les casquettes qu’ils endossent déjà, faire simple devait être indispensable, et les grosses ficelles, ça sert à ça. 
La plus grosse : la métaphore rêve/drogue, évoquée plus haut et les multiples références au suicide, qui imposent immédiatement une ambiance psychologique particulière, un malaise.

Bref, ce film est avant tout une énième aventure entre mecs, qui vous ruine le Bechdel Test : il y a bien deux femmes nommées (pas plus) mais quand elles se parlent, c’est de l’Homme. Mais ça, on le savait déjà, on est en terrain connu. La mise en œuvre enfonce le clou en ce sens, avec les meilleurs moments de virilité de tous les temps. Le but du réalisateur restera toujours le même : faire comprendre une chose compliquée avec des idées simples.
ENCORE UN PEU DE CARABISTOUILLE 
- Ariane s’amuse bien avec le décor parisien : elle renverse tout, déplace les éléments, joue avec des miroirs… Il nous est également présenté des architectures paradoxales comme l’escalier de Penrose. Or, ces fantaisies n’auront plus lieu par la suite, mises à part quelques alertes météo. 
- L’escalier de Penrose trouvera une utilisation très restreinte et légèrement malhonnête : jeter un ennemi dans le vide créé par l’illusion d’un escalier qui n’existe pas (alors qu’Arthur venait de l’emprunter sans problème).




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