Avatar : structure


On repart pour un tour, mais on change notre fusil d’épaule. Vous pensez qu’on met bout-à-bout des images, de manière intuitive, et que les bons sentiments suffisent à faire un bon film ? Je me marre. Cameron applique à la lettre, à la minute, à la seconde une recette carrée-béton, pour un film hyper-structuré sans en avoir l'air. En 2h28 de film, les éléments de l’histoire se succèdent très précisément toutes les 5 minutes. Pas 4 ou 6, cinq (5). Démonstration.



LA STRUCTURE DU FILM

Comme tout récit un tant soit peu construit, un film se divise en 3 parties : début, milieu, fin, ou plus exactement Introduction, Nœud, Dénouement. Pour un film, il faut également ajouter au moins deux « pivots ». Je vous invite à vérifier par vous-mêmes la précision du minutage en visionnant le film, et à me confirmer que je n’ai pas la berlue.


L’INTRODUCTION : c’est la mise en place de l’histoire. Elle donne les informations qui ? quoi ? où ? quand ? quels enjeux ?


UN TIMING AU POIL

Ici, l’introduction dure rigoureusement 30 minutes, ce qui est « standard », et même sur-standard. Un nouveau personnage essentiel nous est présenté toutes les 5 minutes.

Minute 5 : Jake pose le pied la roue sur la planète Pandora, après que nous ayons reçu les informations nécessaires pour comprendre son arrivée (la mort de son frère, présentation de la planète Pandora).

Minute 10 : « réveil » de Grace Augustine, puis présentation du personnage.

Minute 15 : l’esprit de Jake est envoyé dans son corps d’Avatar.

Minute 20 : Jake fait connaissance avec son colonel, l’affreux Quaritch.

Minute 25 : Jake découvre la forêt de Pandora de jour.

Minute 26 : Jake dérange une première grosse bête, un genre de rhinocéros à tête de requin-marteau.

Minute 28 : Jake dérange une seconde très grosse et très féroce grosse bête, la plus puissante de la forêt.

Minute 30 : à l’issue de son combat avec la grosse bête, il se retrouve isolé de son équipe.

Voilà, tous les personnages humains sont présentés, les dangers potentiels explicités (absence d’air respirable et dangers dans la forêt), le spectateur connaît le fonctionnement de l’avatar, mais il a encore une vision biaisée des Na’vi (vision donnée par Quaritch qui les qualifie de féroces, légèrement contrebalancée par les propos d’Augustine qui les respecte déjà). Cette trentième minute est également notre « premier pivot ».

PREMIER PIVOT : il s’agit de l’instant, nécessairement à la fin de l’introduction, où le héros va se retrouver en difficulté, dans une situation délicate. L’expression consacrée est « comme un poisson hors de l’eau ». L’histoire part au galop.


ECONOMIE DE PERSONNAGES

Cameron n’est pas un débutant : tous les animaux qui seront vus de près se verront attribuer un rôle tout particulier dans la bataille finale (les espèces de chiens qui l’attaquent la nuit, les rhinos à tête de requin-marteau et l’énorme bête noire). Exception faite des jolis lézards qui volent, et qui ressemblent drôlement à un hélico dessiné par Léonard de Vinci. La luxuriance de la forêt et les quelques animaux aperçus suffisent à démontrer qu’une grande diversité biologique règne sur Pandora.

C’est un principe en littérature comme au cinéma : on ne donne rien gratuitement.


LES BÊTES, C’EST BÊTE

Jake insulte la première bête qu’il croise (le rhino) et se bat avec la seconde (la grosse bête noire) et les troisièmes (les chiens). Il parle de « conneries écolo » jusqu’à la fin de la première moitié du film. Evidemment, le propos du film est de nous montrer sa compréhension et son pacifisme progressifs à leur égard. Doucement, il va les « respecter » et leur grimper dessus et les utiliser et les tuer gentiment. Enfin… je veux dire les museler violemment en leur disant « tu es à moi » parce qu’elles vont quand même essayer de le tuer : c’est d’ailleurs comme ça qu’on sait que certaines bêtes vous ont choisi (les ikrans et Toruk fonctionnent tous les deux comme ça, deux bêtes « pour la vie », au contraire des chevaux à six pattes). C’est l’amour vache quoi.

Car les animaux ne seront toujours que des outils pour les humains, car forcément inférieurs : ils obéissent aux humains spontanément (comme le prédateur de la mort qui tue qui s’incline pour porter Neytiri jusqu’à Quaritch pour la baston finale), et la nature a même prévu un organe ad hoc pour cela (les filaments dans leur natte qui permettent de faire Tsaheylu, « faire le lien »). On appelle ça du « spécisme », et de l’anthropocentrisme. C’est toutefois probablement votre état d’esprit à vous aussi. Qui viendra regretter cette « plus belle conquête » de l’homme qu’est le cheval, ou le fait que le chien soit « le meilleur ami de l’homme » ? Alors qu’il me semble plus réaliste de considérer que cette domestication est plutôt la conséquence d’une évolution comme une autre pour la survie.

Cameron applique aux animaux ce qu’il fait avec les Na’vi vis-à-vis de Jake, qui en est un « maître éclairé ». Tout est dans la douceur de la domination. C’est aussi l’idée de base du patriarcat depuis des siècles, à l’égard des femmes. On ne va quand même pas frapper et tuer et humilier des gens qu’on aime (euh) ! Enfin, juste s’il le faut parce qu’ils n’écoutent pas (la mandale dans la gueule de Tsu Tey), quoi.

L’histoire a atteint son rythme de croisière, place au nœud, ou déroulement.

LE NŒUD : c’est l’histoire en elle-même, avec ses péripéties et ses retournements de situations que l’on nomme « pivots ».

Le déroulement de l’action dure rigoureusement 1h15. Pas plus, pas moins. Je n’en ferai pas une description aussi précise que pour l’introduction, mais Cameron use de la même précision chronométrique, les événements importants tombent toujours sur des « minutes rondes » (en 5 ou 10), à très peu d’exceptions près. On appelle ça « donner du rythme » et ça passe pour tout naturel à l’écran. Je suppose que cela permet aussi de donner une apparence équilibrée à l’action, sans temps-mort, sans à-coups.

Minute 34 : Neytiri débarque avec sa bite et son couteau son arc et ses flèches. Combat très esthétisé.

Minute 35 : le calme revient, ils vont pouvoir faire connaissance.


BON SANG NE SAURAIT MENTIR

Les conditions d’acceptation de Jake dans le clan des Omaticayas sont assez étranges… et confirment à la fois l’ignorance des Na’vi, ainsi que l’élection évidente de Jake.

- On peut se demander, par exemple, comment il est possible que les graines de l’arbre sacré, qui sont « des êtres très purs » peuvent élire un être synthétique comme l’avatar de Jake. C’est que le travail est super bien fait, j’imagine. Mieux que les vrais, en quelque sorte. 
- A moins que cela ne soit dû au fait que le sang qui coule en lui (ce qui me paraît être une approximation, mais après tout, on ne sait pas exactement comment ils sont faits, ces avatars) soit fondamentalement celui d’un sur-homme sur-Na’vi. Ainsi, on voit la chamane lui prélever une goutte de sang sur la poitrine et la goûter… pas de doute possible… c’est l’Elu ! 
- Neytiri, elle, lui a sauvé la vie parce qu’il n’a « peur de rien », alors qu’elle lui reproche précisément son inconscience.

En bref : sa supériorité relève de l’impalpable, du métaphysique, de la trinité courage - pureté - lignée… on peut pas comprendre, c’est juste comme ça, et les efforts de Cameron pour nous le faire comprendre quand même sont moyennement convaincants.

Les Na’vi ont l’air d’identifier immédiatement Jake pour ce qu’il est, un être synthétique qui ne fait pas partie de leur peuple, car ils l’appellent « marcheur de rêves ». Mais bizarrement, ils ne comprendront pas quand il se trouvera « déconnecté » par un Quaritch furieux pas plus que sa duplicité, alors qu’elle est évidente : il avoue faire partie des soldats, et pas des scientifiques.

Les 40 minutes qui suivent sont vouées à l’initiation de Jake pour qu’il s’intègre au clan des Omaticayas, initiation qui aboutit d’une part à une cérémonie d’intégration, et d’autre part à sa copulation avec Neytiri. Cette initiation est l’occasion pour le film de déployer son univers.


PAS UNE FABLE VERTE : UN RÊVE BLEU

 Ne boudons pas notre plaisir… Ce qui est vraiment plaisant dans ce film, c’est le monde dans lequel il nous immerge, vaste et cohérent. C’est aussi ce qu’aiment les lecteurs d’Harry Potter ou de Tolkien : le rêve et le voyage, l’immersion. Et là, Cameron nous en vend du bon.

- Les lieux, la forêt en particulier, en met plein les mirettes. On rit de Jake qui ne peut pas voir la lueur des végétaux, la nuit, parce qu’il s’est fait une torche (un réflexe tout humain), qui l’aveugle. L’herbe qui s’allume sous vos pas… Le monde est beau, est sûrement un peu trop. C’est un parti pris à la Yann Arthus Bertrand, qui me paraît à la fois faux et trompeur, mais tentant : protégeons ce qui est beau (et à la poubelle ce qui ne l’est pas ?). On peut qualifier cela d’esthétisme, d’aphrodisme écologique. Cameron aussi est un « marcheur de rêves »…
- Le peuple Omaticaya ne paraît pas très différent des humains qui nous entourent chaque jour, et encore moins de ceux que l’on trouve encore (en petit nombre, de plus en plus petit) sur notre planète, dans les forêts les plus sauvages. Quand on vit sous les arbres, on vit nécessairement avec les arbres. Cameron ne nous fait pas non plus un remake de la Belle Verte… Pour garder du tonus à son film (comprenez : des occasions de baston), il fait des Na’vi des guerriers, voire des belliqueux qui s’emportent aussi vite que vous et moi. En même temps, on n’y croirait pas, s’ils étaient parfaits, hein ? D’ailleurs, la Belle Verte, même si on a aimé, on n’y a pas cru.
- Cameron ne nous trimbale pas avec le dos de sa cuiller en argent : il a entrepris des recherches poussées dans de nombreux domaines, scientifiques, botaniques, anthropologiques… pour nous livrer un univers fictif des plus réalistes. Bon, on se demande comment des cascades peuvent choir perpétuellement de petits bouts de montagnes sur lesquelles on ne voit jamais la pluie tomber, c’est clair, mais les bonnes trouvailles, qui paraissent logiques et en même temps merveilleuses, sont légion : leur manière de se jeter dans le vide en se rattrapant aux plus grosses feuilles des arbres, leur langage parmi lequel les linguistes dans mon genre trouveront les racines qui vont bien, la mention faite de l’observation quotidienne que demande une bonne connaissance de la nature et de son fonctionnement… 

La fin de l’initiation de Jake est précédée de peu par le second pivot de l’histoire.

SECOND PIVOT : on a l’impression que tout roule pour le héros, oui, mais non. Quelque chose va se produire, qui va relancer l’action.

Ici, le second pivot a lieu lorsque Quaritch demande à Sully de laisser tomber l’amadouage des Na’vi, il en a assez fait. Il peut retourner chez lui, il a gagné ses jambes, c’est « acquis », tout prêt. Mais Jake refuse. Il fait croire à Quaritch qu’il peut encore convaincre les Omaticayas de quitter pacifiquement l’arbre-maison, ce que l’on sait être faux, mais ça arrangerait tellement tout le monde.

Minute 75 : discussion avec Quaritch. Jake veut tenter la diplomatie. La cérémonie suit juste après.

Minute 80 : Jake et Neytiri « s’unissent ».

Minute 81 : les bulldozers débarquent et commencent à aplanir le terrain. 

Il faut remarquer ici que la femme fonctionne comme les animaux (sauf qu’elle ne voudra pas vous tuer… mais on sent qu’elle en est capable) : il faut la choisir, et il faut qu’elle vous choisisse aussi. C’est une saine réciprocité, ce qui manque cruellement aux robots de Quaritch. Neytiri est particulièrement sexy dans cette scène : ses cheveux sont lâchés, et elle porte un petit haut des plus seyants, quoique quasiment invisible. En même temps, dans les minutes voisines, on comprend que Jake renonce à son humanité.


JE NE VEUX PLUS ETRE UN HOMME

Son corps humain n’est qu’un poids. Il ne se douche plus et il faut le forcer à s’alimenter, ce qui l’empêche d’ailleurs de se trouver dans son corps d’avatar lors de l’arrivée des bulldozers. C’est malin. 
- C’est tout naturellement qu’il renonce aux jambes humaines que lui propose Quaritch. C’est là aussi que Quaritch comprend qu’il ne peut plus lui faire confiance. 
- Jake se demande où est le rêve, où est la réalité
- Il annonce clairement à Quaritch qu’il veut être des leurs. La cérémonie d’intégration suit cette déclaration.


Minute 85 : Tsu Tey fait fermer son clapet à Augustine (« Tu n’as pas la parole »), et les Na’vi choisissent de prendre les armes pour riposter.

Minute 90 : « Ils ne quitteront jamais l’arbre-maison ». Les aveux enregistrés de Sully convainquent Quaritch d’attaquer, en cognant bien fort. Selfridge, rongé par les remords, donne une nouvelle chance à Sully et lui permet de reprendre son corps d’Avatar.

Minute 95 : « Pour un gros arbre, c’est un gros arbre… »  et « Eh bien voilà, on dirait que la diplomatie a échoué ». Quaritch lâche ses premiers missiles sur l’arbre-maison tandis qu’Augustine et Jake sont impuissants, faits prisonniers par les Na’vi.

Minute 100 : l’arbre-maison touche le sol, heureusement Jake et Augustine ont été délivrés par la chamane.


LES « SCENES FANTASTIQUES »

Tout bon film de divertissement qui se respecte doit posséder deux ou trois « scène fantastiques », des moments forts qui justifient l’existence du film et souvent portés par une musique grandiloquente. Fort pouvoir lacrymal, dialogues et images poignants. Il y en a au moins cinq dans Avatar :

- l’intronisation de Jake. La façon dont les Na’vi se prennent par les bras est la reproduction de la manière dont l’énergie circule dans les arbres et on entend du tam-tam. Sauvage à souhait. 
- la chute de l’arbre-maison. On a le droit à des corps écrabouillés, mais pas de sang, histoire de ne pas exciter le PEGI… Ainsi, Avatar reste tout public. 
- Toute la scène où Jake survient sur Toruk, et où il galvanise le peuple pour lever une armée. On a le droit au hit du must du colon libérateur. La condescendance est portée à son comble : Neytiri s’excuse de l’avoir rejeté suite à sa traîtrise (quand même énorme) et Tsu Tey fait l’honneur de traduire ses paroles. Les Na’vi touchent Jake sur son passage comme le veut l’image du bon sauvage à la peau brune qui touche la peau du blanc, éberlué, subjugué. Vous comprenez, ça n’est arrivé « que cinq fois depuis les premiers chants du monde ».
- L’intervention d’Eywa, lorsque les animaux de la forêt se lancent dans la bataille, malgré les propos de Neytiri qui affirmait qu’Eywa « ne prend pas partie », se contentant d’assurer l’équilibre naturel… mais justement, c’est ce qu’elle fait ! Nous trouvons ici l’archétype de Gaïa, Mère Nature en quelque sorte, personnifiée, réelle et active, et cette fois-ci, elle aurait trouvé un allié. L’Axe du Bien est plus fort que tout, même la planète le sait. A la rigueur, on peut même estimer qu'Eywa aurait fort bien pu se débrouiller toute seule ce qui rend inutiles les 2 heures de film, preuve s'il en est que tout ça n'est que prétexte à nous expliquer qu'il faut un dominant, sur notre planète. 
- Et évidemment la résurrection de Jake, qui clôt le film. On pouvait douter de l’efficacité de la magie de la chamane qui a échoué à ramener Grace à la vie. Nous avions tort.

Donc, tout va mal, là. Faudrait placer un troisième pivot, non ? C’est aussi là que commence le dénouement du film.

DENOUEMENT : c’est en quelque sorte le début de la fin. Ici et au-delà doivent se trouver les réponses aux questions que l’on se pose, et on y trouve également un PAROXYSME, temps le plus fort de l’action. Les minutes finales sont plus calmes.

Le dénouement commence avec la libération de Jake, Norman (qui sait brutalement se servir d’une arme, à savoir un très gros fusil d’assaut) et Augustine par Trudy. Le paroxysme, c’est le combat des peuples Na’vi contre les militaires, et le paroxysme du paroxysme, le combat Jake / Neytiri contre Quaritch.

Minute 105 : Grace, Norman et Sully, jetés dans une cellule par Quaritch, sont libérés par Trudy. Ça va chier. Dans leur fuite, Augustine est grièvement blessée par Quaritch (les premières gouttes de sang du film, d’ailleurs, alors que les morts sont déjà nombreux).

Minute 110 : Jake saute sur le dos de Toruk, et devient Toruk Maktau, une sorte de prophète aux yeux des Na’vi.

Minute 115 : mort de Grace, mais la méthode utilisée par la chamane préfigure la réincarnation de Jake. En même temps, naît un doute : et si c’était que des conneries, cette magie ? Ainsi, il est impossible pour le spectateur d’envisager sérieusement que Jake puisse vivre tout à fait dans son corps d’Avatar. La mort de Grace n’est pas forcément vécue par le spectateur comme une chose grave et triste : elle est auprès d’Eywa, ce dont elle rêvait probablement, et elle a accès à toute la connaissance qu’elle recèle. Le pied pour cette scientifique en admiration devant cette culture.

Minute 120 : à l’issue de cette scène fantastique qu’est le ralliement des autres clans par Jake, on voit Quaritch exposer sa contre-attaque, à savoir une campagne de « terreur ». Napalm, choc psychologique… ça sent en même temps le Viet Nam et l’Irak. Quaritch dévoile sa pourriture sans nom : il parle de « race », se moque de leur « déesse » et déclare que les gaz « c’est plus humain. Un peu ». Quelques minutes plus tard, Trudy comprend qu’elle va mourir : « Et moi qui pensais pouvoir être dispensée de finir en martyr ». Au moins, c’est bien, elle peut se préparer psychologiquement.


LE MONDE SELON HOLLYWOOD

Pas de doute possible dans ce monde-là, pas de confusion, parce que les méchants sont méchants de A à Z. Bon, les gentils sont un peu cons ou bornés, mais que gentils quand même. Nous obtenons des portraits sans grandes nuances dès qu’il s’agit des méchants (ce qui est habituel dans ce genre de grosses productions… franchement, j’en ai ma claque de toujours manger la même soupe). Pour tous les spectateurs, à la minute (minutes 5 et 6) où l’on fait leur connaissance, il est clair que les militaires sont des cons (« Regarde ce qui s’amène… un perdreau à roulettes » disent-ils en voyant Jake débarquer sur son fauteuil roulant) et Quaritch a une sale tronche dès le départ. Selfridge fait un peu figure d’exception, puisqu’il regrette la tournure que prennent les événements quand l’armée se lance en conquête. Les moyens déployés par l’armée, pour un contingent simplement présent pour protéger les intérêts du capitaliste, sont assez hallucinants. Son erreur ? Il s’est laissé manipuler, c’est Quaritch qui porte la culotte en fait. Selfridge manque de convictions, c’est un être faible, trop attiré par l’argent. Ainsi, Cameron oppose :

- La violence et la force. L’attaque et la défense. Ce qui est justifié et ce qui ne l’est pas. Ceux qui sont violents n’ont en fait pas de couilles (ils gémissent comme des fillettes avant de mourir), alors que les gentils forts se sacrifient dignement et en silence (Trudy et Tsu Tey). 
- La bêtise et l’ignorance : le colonel Quaritch ne veut pas savoir, Jake, lui, va apprendre, même si au début les deux hommes ont la même attitude à l’égard des Na’vi. 
- La bonne et la mauvaise science, qui se distinguent difficilement, puisqu’elles peuvent recouvrir la même réalité (typiquement, les armes), comme nous l’avons vu hier. 
- Les vendus et les convaincus : la Gentillesse, ça s’achète pas, on l’a ou on l’a pas. Ce qui fait la force, la liberté d’un homme, ce sont ses rêves et ses convictions.

Du coup, on reconnaît les gentils et les méchants en fonction de ces critères.

Et sinon, vous n’avez pas eu l’impression d’être un petit morceau d’inobtainium, en payant votre place pour voir ce film ? Avatar est en effet le film qui a rapporté le plus de fric de tous les temps (et celui qui en a coûté le plus)… juste devant Titanic, également de Cameron. Mais enfin, ce sont les intentions qui comptent. Et puis les actes. Et puis aussi un peu les paroles etc… Monde à géométrie variable, et en même temps d’une stabilité déconcertante.


Minute 125 : les hélicos de Quaritch décollent. Selfridge-le-capitaliste soupire.

Minute 130 : malgré des débuts prometteurs, les résistants commencent à battre en retraite.

Bon ça re-va mal. Il faudrait un quatrième pivot, non ?

LES AUTRES PIVOTS : au-delà du deuxième pivot, et au contraire des deux premiers, il ne s’agit plus de mettre le héros en difficulté, mais au contraire de le tirer des mauvais pas dans lesquels il s’est inévitablement fourré.


Minute 135 : Eywa se lance dans la bataille !!! Alors qu’il était clair que Neytiri allait se faire dégommer : elle allait se jeter inconsidérément dans la bagarre malgré l’ordre (ils sont en mode « guerre », il peut bien lui donner des ordres) de Sully qui le lui défendait, cette imbécile.

Minute 140 : Neytiri débarque dans le dos de Quaritch, qui allait faire feu sur la cabine dans laquelle repose le corps humain de Jake. Elle chevauche le gros prédateur du début (il faut voir cette scène comme un combat de titans : le plus puissant des prédateurs contre le plus puissant des engins de guerre). Elle perd ce combat et se retrouve coincée sous sa monture morte.

Minute 145 : après le combat de Jake (qui perd) contre Quaritch et la mort de celui-ci sous les flèches de Neytiri (vous observerez d’ailleurs la deuxième goutte de sang de tout le film, sur le front du colonel, qui était responsable de la mort de Grace : œil pour œil, dent pour dent), la jeune Na’vi sauve Jake de la suffocation.

Vous avez ici droit à une autre leçon de cinéma : on peut parfaitement gagner une guerre en perdant presque tous les combats. Haletant.


« JE TE VOIS »

C’est à ce moment du film que cette jolie expression, que les Omaticayas utilisent pour se saluer, prend tout son sens : pour la première fois, Neytiri voit réellement qui est Jake, dans son corps atrophié d’humain. Cette scène pourrait également être considérée comme une « scène fantastique ».


TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN, ILS VECURENT HEUREUX POUR TOUJOURS,  A CŒUR VAILLANT RIEN N’EST IMPOSSIBLE, LES OISEAUX CHANTENT ET LES PETITS LAPINS BLEUS

Vous auriez été déçus, autrement ? L’éclatante victoire du Bien sur le Mal a encore eu lieu.

Il reste 3 minutes de film, ce qui est également la durée standard pour une fin calme et apaisée, classique. Jake renaît dans son corps d’avatar, après que le ménage ait été fait parmi les humains, en renvoyant sur Terre les « mauvais ». D’autres « triés sur le volet », resteront sur Pandora. On ne sait pas si Norman-normal va aussi se payer un corps d’avatar, puisqu’il reste. On lui souhaite, vu que ça doit être chiant de vivre avec un masque et que l’air va fatalement finir par s’épuiser… mais on n’en sait rien. Et on s’en fout, il n’y a que Jake qui compte.

On a droit à l’ultime transe de la Chamane, et au regard doré de Jake, qui renaît dans son nouveau corps. Le chef-héritier étant mort, il est clair que Jake sera le chef des Omaticayas. Et ils en ont l’air super-contents.


J’avoue avoir été gênée, déçue par ce minutage serré, et évidemment par le propos ni écolo ni féministe qu'on a voulu lui prêter. Ça casse le rêve, un peu, non ? Ramener l’art, ce qu’est censé être le cinéma, à un ensemble de règles qu’on applique compulsivement… En fait, ce film est hyper-normé, supra-normal, complètement standard, avec les clichés habituels, les mêmes ressorts éculés et les ficelles qu’on connaît déjà, ce qui le rend unique, c’est sa conception et son usage de l’image de synthèse, extraordinaire.  Je vais chercher ailleurs, j’espère trouver, des films qui sortent de ce schéma. La prochaine fois, je fais la peau à Inception. Un conseil : regardez-le avant.

A bon entendeur…

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