Raoul Vaneigem


« Une société qui n’a d’autre réponse à la misère
que le clientélisme, la charité et la combine
est une société mafieuse »


Mon apolitisme est notoire, je me cantonne à une philosophie de vie qui fait aussi bien l’affaire quand il s’agit d’ouvrir ma gueule, moi aussi. Depuis toujours, la vie politique française ne m’évoque que navrance, mais depuis quelques mois, je m’attache à répondre aux questions auxquelles il faut bien répondre, tout de même.



Ce petit texte qui suit, daté de 1995, résume l’évolution et le fond de ma pensée. Il n’apporte pas de solution pratique en ces lignes, mais l’ouvrage dont il est extrait est destiné à appeler à une réforme… de l’école. Tout se jouera dans l’éducation, parce que ce qu’il faut combattre, ce sont nos habitudes, nos vilaines habitudes de petits blancs occidentaux. Vaneigem conjure chacun de nous à la raison : vivons curieux, vivons forts, vivons, surtout, comme nous l’entendons, ne laissons rien ni personne nous dicter notre conduite, qui doit être le fruit d’une réflexion sur notre bien-être, un choix logique dans un monde vivant, fragile et délicieux.



« Stimulé par les expériences de la Révolution, Saint Just écrivait : « le bonheur est une idée neuve en Europe ». Il a fallu deux siècles pour que l’idée, cédant au désir, exige sa résolution individuelle et collective. 
Désormais, chaque enfant, chaque adolescent, chaque adulte, se trouve à la croisée d’un choix : s’épuiser dans un monde qui épuise la logique d’une rentabilité à tout prix, ou créer sa propre vie en créant un environnement qui en assure la plénitude et l’harmonie. Car l’existence quotidienne ne se peut confondre plus longtemps avec cette survie adaptative à laquelle l’ont réduite les hommes. 
[…] 
Au terme d’une course frénétique au profit, les rats en salopette et en costume trois pièces découvrent qu’il ne reste qu’une portion congrue du fromage terrestre qu’ils ont grignoté de toutes parts. Il leur faudra ou progresser dans le dépérissement, ou opérer une mutation qui les rendra humains.

Il est temps que le memento vivere remplace le memento mori qui estampillait les connaissances sous prétexte que rien n’est jamais acquis.
Nous nous sommes trop longtemps laissé persuader qu’il n’y avait à attendre du sort commun que la déchéance et la mort. C’est une vision de vieillards prématurés, de golden boys tombés dans la sénilité précoce parce qu’ils ont préféré l’argent à l’enfance. 
[…] 
Pour briser l’oppression, la misère, l’exploitation, il ne suffit plus d’une subversion empoisonnées par les valeurs mortes qu’elle combat. L’heure est venue de miser sur la passion irrépressible du vivant, de l’amour, de la connaissance, de l’aventure qui inaugure à chaque instant quiconque a résolu de se créer selon sa « ligne de cœur ».

La société nouvelle commence par l’apprentissage d’une vie omniprésente. Une vie à percevoir et à comprendre dans le minéral, le végétal, l’animal, règnes dont l’homme est issu et qu’il porte en soi avec tant d’inconscience et de mépris. Mais aussi une vie fondée sur la créativité, non le travail, sur l’authenticité, non sur le paraître, sur la luxuriance des désirs, non sur les mécanismes du refoulement et du défoulement. Une vie dépouillée de la peur, de la contrainte, de la culpabilité, de l’échange, de la dépendance. Parce qu’elle conjugue inséparablement la conscience et la jouissance de soi et du monde. »
Vaneigem, Avertissement aux écoliers et lycéens (1995)

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